mardi 5 mai 2009

RWANDA : L’enquête à la machette du juge Bruguière


Article de Sylvie Coma paru le 26 Novembre dans le numéro 858 de Charlie Hebdo

L’arrestation de Rose Kabuye relance l’enquête française sur l’attentat contre Habyarimana. Enquête qui présente quelques lacunes croquignolettes.

Le dossier était sur le point d’être bouclé. Avec la récente arrestation de Rose Kabuye, directrice du protocole du président Kagame, le voilà relancé. Désormais, ses avocats ont la possibilité d’y ajouter leurs requêtes. Les deux magistrats instructeurs qui ont succédé au juge Bruguière sur cette affaire peuvent donc se préparer à quelques nuits blanches, la défense va leur donner du boulot.
Car si l’on en croit le contenu de l’ordonnance de soit-communiqué, rendue publique en 2006, tous les témoins retenus dans le dossier d’instruction sont des témoins à charge. On y croise des génocidaires inculpés par le Tribunal pénal international, des «défecteurs» de la rébellion menée par Kagame, des militaires français pleurant toutes les larmes de leur honneur bafoué… Et deux anciens rebelles, Emmanuel Ruzigana et Abdul Ruzibiza, catapultés par Bruguière au rang de «témoins clés», qui se sont finalement rétractés, en avouant qu’ils avaient été manipulés…

Finalement, on n’a rien vu.

À part ça, le dossier d’instruction semble vide de tout élément matériel de preuve. Pas le moindre débris d’avion à expertiser, ni le plus petit fragment de missiles à se mettre sous le microscope… Bruguière n’est jamais allé sur le terrain. En revanche, d’autres y sont allés pour lui. Paul Barril, par exemple, l’ancien gendarme de l’Élysée, passé maître dans le tripatouillage des pièces à conviction depuis l’affaire des Irlandais de Vincennes. Après avoir hanté les couloirs de l’Élysée et arpenté, de 1990 à 1994, les salons du palais présidentiel de Kigali, Barril, à la tête d’une boîte de barbouzes dénommée «Sec­rets», a poursuivi sa carrière sur le continent africain comme conseiller de la veuve du président Habyarimana… Il a donc toutes les raisons de se retrouver au cœur du dossier rwandais.
Quelques semaines après l’at­tentat, le baroudeur tropical a fait irruption sur les écrans de la télévision française en assurant détenir des pièces capitales pour l’avancée de l’enquête : deux lance-missiles SAM 7, les enregistrements de la tour de contrôle, des photos satellites et plus de 80 témoignages visuels… Sans oublier le must, qu’il brandit sur France 2, le 28 juin 1994 : la boîte noire du Falcon 50. Une boîte tellement noire qu’elle en est fausse. Car, comme son nom ne l’indique pas, une «boîte noire» ne se signale pas par sa noirceur mais par sa couleur orange.
Une colossale esbroufe, donc. Et le premier épisode des rocambolesques tribulations de la petite boîte farceuse. On retrouvera sa trace dans Le Monde, en mars 2004, puis elle se volatilisera, avant de resurgir et de disparaître à nouveau… Au bout de dix ans de traque, la boîte vagabonde sera finalement localisée au fond d’un placard de l’ONU. Totalement «inexploitable», selon les spécialistes.
Reste les deux missiles sol-air qui ont abattu le Falcon 50. Une affaire réglée, selon Bruguière. On veut bien le croire : aussitôt après l’attentat, ce sont les militaires français et les forces armées rwandaises qui se sont rendus sur les lieux du crash. Les Casques bleus, eux, y ont été interdits d’accès. Nos soldats ont donc eu tout loisir — et ce, à plusieurs reprises — d’examiner les débris de la carcasse de l’appareil et de récolter les deux lance-missiles…
Des SAM 7, avait affirmé l’increvable Barril. Finalement non, des SAM 16, rectifiera Bruguière. Des preuves implacables contre Kagame, selon le juge : les tubes de lancement, découverts sous les buissons de Masaka, ont été fabriqués dans l’ex-Union soviétique et vendus à l’Ouganda, qui les a livrés à l’ancien chef rebelle à l’époque où il s’y trouvait en exil… Pour preuve, la liste des numéros des lance-missiles diligemment fournie par des membres de l’ancienne armée gouvernementale et les photos de l’un des deux engins.

Un missile bouchonné

Un scénario en acier fuselé. Mais qui présente, néanmoins, un certain nombre de bizarreries, pourtant dûment notifiées dans le rapport de la Mission d’information parlementaire française. On y apprend notamment que le principal intérêt des fameuses photos du lance-missiles, c’est, tout simplement, de révéler que l’engin n’a pas été tiré : «le tube est en état, les bouchons aux extrémités sont en place, la poignée de tir, la pile et la batterie sont présentes»… On voit donc mal comment il a pu atteindre sa cible. Ce qui est embêtant pour l’avancée de l’enquête, vu que les photos sont les seules preuves matérielles dont l’instruction dispose. Effectivement, les deux missiles et leurs lanceurs ont aujourd’hui, eux aussi, disparu.
Du point de vue des éléments matériels de preuves, le dossier est donc vide. Aux avocats de la défense d’y mettre quelque chose.

Sylvie Coma

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