mardi 5 mai 2009

REPORTAGE : Bison Futé pour crapauds en rut

Article paru dans le numéro 825 du 09 avril 2008

L’appel du sexe n’attend pas forcément les beaux jours. En tout cas pas chez les crapauds, qui vont déjà se reproduire dans leur mare natale, au risque de périr écrasés sur les routes. Heureusement pour eux, des humains compatissants les aident à traverser.



Forêt de Fontainebleau, huit heures du mat’. Pendant que les écolos de salon se couchent tard pour refaire le monde, les écolos de terrain se lèvent tôt pour en sauver les miettes. Ce sont eux que nous accompagnons aujourd’hui au village de Larchant.
Bienvenue à Crapauland. La première difficulté est de se garer en n’écrabouillant personne (je parle des batraciens). Mettre un pied à terre sans glisser sur un crapaud n’est pas moins facile. Ils sont partout, progressant d’une démarche lente et clopinante et coassante, et cependant inexorable (souvenez-vous des morts-vivants...). Souvent par paires, l’un juché sur le dos de l’autre. Ma parole, ils niquent en marchant ?! Pas tout à fait, nous explique Julie Maratrat, du parc naturel régional du Gâtinais : «Chez les crapauds, la fécondation est externe. Les mâles commencent par enserrer les femelles. Celles-ci finiront par expulser leurs œufs que les mâles arroseront ensuite de leurs spermatozoïdes.»



Avouons que la vie sexuelle des crapauds nous était peu familière. Mais nous apprendrons qu’ils passent l’hiver en forêt, enfouis, pour se protéger du froid. Et qu’aux premiers radoucissements ils sont obsédés par l’idée d’agripper une femelle, mais ça, on s’en doutait. Pour ce faire, allez savoir pourquoi, ils migrent vers la mare de leur naissance, et peu importe qu’elle soit située à deux ou trois kilomètres, ils s’y dirigent guidés comme la boussole par l’aimant (ils se repèrent à l’odeur, suppose-t-on). Cela donne le tableau de femelles portant un prétendant (plus petit qu’elles), parfois deux ou trois, quatre et jusqu’à cinq, sur leur dos.



Recensement « manu militari »

Le problème des crapauds, c’est quand leur chemin de migration traverse une route. Qui dit route dit voitures. Sachant qu’un crapaud met une vingtaine de minutes pour la traverser, ça ne fait pas lourd la probabilité d’arriver vivant de l’autre côté. D’où le dispositif mis en place par le parc régional du Gâtinais. 750 mètres de bâches en plastique posées verticalement sur le sol. Le crapaud s’avance, boum, il percute l’obstacle. Obstiné, il le longe. Mais tous les dix mètres, des trous ont été creusés. Et dans les trous, des seaux ont été placés. Le crapaud y tombe.



Ça n’est pas le grand confort, vu qu’ils sont déjà des dizaines dans le récipient et que bien d’autres encore vont y tomber — mais c’est toujours mieux que de passer sous une roue de bagnole. Il ne reste plus qu’à attendre d’être transporté, puis libéré, de l’autre côté de la route.
Ce n’est que la moitié du boulot. Car après avoir procédé à leur commerce de gamètes, mâles et femelles referont le trajet en sens inverse. Ce qui donne un chassé-croisé où juillettistes et aoûtiens sont respectivement les crapauds qui partent baiser et ceux qui en reviennent. Et il faudra, de même, aider ces derniers à traverser la route au retour.

Les voyages forment l’adn

Aujourd’hui, 2 509 amphibiens auront été interceptés. Le record de la saison (bilan entre fin janvier et début avril : 19 692 crapauds). Sans ce dispositif, la population de crapauds, déjà mal en point à cause de la disparition des zones humides, s’effondrerait vite. «Un flux de 4 à 12 véhicules par heure tue 18 % des crapauds communs», nous apprend Julie Maratrat. Rien qu’à Larchant, on compterait une centaine d’écrasés par jour. Vu qu’une omelette de crapauds vaut bien une plaque de verglas, les humains ne seraient pas non plus épargnés (et allez donc raconter que vous êtes tombé de vélo en glissant sur un crapaud...).
Je connais des persifleurs qui trouveront boy-scout l’assistance routière aux crapauds. Apprenons à ces ignorants qu’il s’agit au contraire d’une démarche avant-gardiste, d’ailleurs dans le droit-fil du Grenelle de l’environnement. L’un de ses enjeux était en effet les «trames vertes», comprenez la mise en place de corridors biologiques permettant aux animaux de circuler entre les zones protégées. Il faut savoir que la santé d’une population animale exige un bon mélange de gènes (sinon c’est la consanguinité, dont on sait les méfaits).
L’idée est qu’on ne peut plus se contenter de préserver la biodiversité en parquant les animaux dans des réserves, fussent-elles gérées au mieux. Les animaux ne sont pas les icônes statiques d’un environnement qu’on aimerait protéger sans trop gêner les promoteurs immobiliers. Comme les humains, les animaux bougent, voyagent, migrent, et il est grand temps d’en tenir compte pour concilier leurs routes et les nôtres, afin d’éviter que chaque automobiliste ne devienne un viandard malgré lui1.

Antonio Fischetti

1. Il y a plusieurs façons d’éviter les omelettes de crapauds : dans certains lieux on interrompt la circulation routière, dans d’autres on creuse des «crapauducs», sortes de minitunnels leur permettant de traverser. Le même principe s’applique à d’autres animaux : pour que les écureuils puissent franchir les routes, on tend parfois des cordes entre les arbres situés de chaque côté.

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